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Kasai Direct
11 septembre 2013

Le gouvernement congolais est le premier responsable de la sécurité en RD Congo, pas la Monusco

Analyste des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires de la RD Congo, et auteur de l’ouvrage-référence « Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC » (2013), Jean-Jacques Wondo Omanyundu est un diplômé de l’Ecole Royale Militaire de Belgique. Il rappelle dans cette analyse que « le gouvernement congolais est le premier responsable de la sécurité en RDC, pas la Monusco ».


Depuis quelques mois, suite à l’enlisement de la situation sécurit aire à l’Est de la RD Congo, on assiste à un faisceau de tirs, venus de toutes parts, contre la Monusco. C’est comme si la persistance de la situation sécuritaire chaotique à l’Est du Congo est imputable à la seule Monusco.

Ma question ici est de savoir qui est le premier responsable pour assurer l’autorité de l’État à l’Est et dans l’ensemble du territoire congolais ?

L’échec de la Monusco, un secret de Polichinelle. Est-ce la seule explication de l’enlisement sécuritaire à l’est du Congo ?

La Monusco a un effectif total (au 30 juin 2013) de  24.955 personnes dont  20.438 membres du personnel en uniforme (18. 490 soldats, 522 observateurs militaires, 1. 426 policiers), 3.941 membres du personnel civil (549 volontaires des Nations Unies, 994 membres du personnel civil international, 2. 947 membres du personnel civil local).

Son budget colossal approuvé (du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013) est de 1. 347. 588. 800 dollars US avec un  coût additionnel estimé à 140 millions de dollars US pour le déploiement de la brigade d’intervention en 2013.

Avec tout cela, on s’attendait tout au moins à ce que cela se reflète sur le terrain, notamment par l’espoir suscité auprès de quelques naïfs (dont le Gouvernement congolais) de voir cette brigade mettre hors d’état de nuire le M23 et tous les groupes armés évoluant au Kivu.

Malheureusement, on assiste depuis 14 ans à une présence molle de la mission  des Nations unies au point que bon nombre d’observateurs ainsi que l’opinion publique s’interrogent sur l’utilité de maintien de sa présence à l’Est de la RDC. Mais là n’est pas vraiment mon propos dans cette contribution, mais touchons en un mot.

Sous le titre, « La Monusco : Mission impossible ? », la journaliste indépendante Sonia Rolley, dans la revue Grotius International (Géopolitiques de l’humanitaire, 30 septembre 2012), fait une évaluation mitigée du travail de l’ONU en RDC.

Pour elle, la Monusco ne doit pas être, seule, tenue responsable de la débâcle à l’Est de la RDC, il s’agit d’une responsabilité collective qui doit être assumée par tous les acteurs.

« La Monusco est peut-être pointée du doigt à raison. Mais tous ces manquements ne suffisent pas à expliquer l’immense gâchis de ce conflit dans l’Est. Les causes de l’insécurité sont multiples : la faiblesse de la démocratie congolaise, l’échec de la réforme du secteur de la sécurité, l’exploitation illégale des ressources minières, mais aussi les conflits locaux et notamment liés à la terre qui sont trop souvent ignorés », écrit-elle.

« C’est toute l’assistance étrangère au pays qui doit être repensée, pas seulement un mandat : le positionnement des chancelleries, l’affectation des aides financières et techniques, les stratégies d’intervention des humanitaires. . . Derrière la relative inefficacité de la Monusco se profile surtout l’échec de la communauté internationale…», ajoute-t-elle.

 Quant à la Monusco, la journaliste indépendante Sonia Rolley note qu’aujourd’hui son positionnement est devenu illisible au point que l’on prépare le déploiement d’une (autre) force (internationale) neutre à la frontière entre le Rwanda et le Congo. « N’est-ce pas en soi un constat d’échec pour la mission de l’ONU ? », se posait-elle la question en septembre 2012. (Lire aussi Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC).

Adam Backzo, spécialiste des groupes armés dans le Nord-Kivu, estime quant à lui que « la position actuelle de la Monusco est intenable, il y a un faux engagement, une fausse neutralité », estimant que « si la Monusco conserve ce positionnement, la guerre va continuer ».

« Le soutien de la mission onusienne à une armée défaillante ne permet pas aujourd’hui au gouvernement de reprendre le contrôle de l’Est», assure Waatibal Kumaba Mbuta, auteur de l’ouvrage « L’ONU et la diplomatie des conflits : le cas de la République démocratique du Congo », L’Harmattan, Paris, 2012).

Les FARDC (et non la Monusco), détentrices du monopole de restaurer l’autorité de l’Etat

Dans une précédente analyse, publiée en deux parties, intitulée « La résolution 2098 de l’ONU ou l’effondrement du monopole de l’Etat congolais Analyse d’un pétard mouillé? », j’expliquais le rôle de l’Etat, c’est-à-dire la responsabilité gouvernementale dans l’exercice de ses fonctions régaliennes.

Je faisais alors référence à la deuxième partie de la définition que le sociologue brésilien Emilio Willems (Dictionnaire de sociologie, 1970) attribue ce concept et selon laquelle l’« un des caractères principaux de l’Etat est l’exercice d’un contrôle coercitif sur ses propres membres ou dans ses rapports avec les autres sociétés ».

En effet, la caractéristique principale de l’Etat réside dans sa capacité de disposer du monopole de la violence légitime. Une violence que l’Etat confère à ses forces armées nationales (FARDC) et non étrangères (Monusco) encore moins à des mercenaires ni aux milices pour assurer sa défense extérieure ; aux services de police pour assurer la sécurité intérieure, l’ordre public à l’intérieur de l’État et la recherche des auteurs d’infraction ; et à la justice pour réguler les processus sociaux et sanctionner les comportements jugés en décalage par rapport aux normes de la société (l’État).

Il s’agit tout bonnement des domaines qui couvrent les pouvoirs régaliens d’un État de disposer de la puissance publique et qui forment ce que l’on appelle communément « impérium ».

De ce fait, la mission principale d’une armée est naturellement celle de défendre l’intégrité, la souveraineté et l’indépendance du pays chaque fois qu’elles sont menacées. En conséquence, en tant que garant de l’ordre républicain, l’armée détient le monopole légitime de rétablir l’équilibre ou de défendre le pays par le recours à la violence chaque fois que le pays est menacé ou agressé.

De ce fait, l’État n’a de sens et d’existence que dans la mesure où il possède les instruments performants capables de lui permettre d’exercer son monopole de la violence légitime sur son territoire et même au-delà. C’est-à-dire avec le choc de la guerre, l’État est obligé de montrer de quoi il est capable. Car sans armée efficace et capable d’exercer cette violence contre l’ennemi, c’est toute la substance constitutive même de l’État qui s’émascule. Cela arrive lorsqu’on a une armée incongrue soutenant un État-coquille vide et exposé à la merci du premier agresseur.

Dans son fonctionnement interne et dans ses rapports avec les autres États, l’objectif principal d’un État est de réaliser au maximum l’« intérêt national » (National Intrest) en faisant appel à son pouvoir et à sa puissance. D’où, le principe universel affirmé par Carl Von Clausewitz selon lequel « la guerre est un acte de violence dont l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ».

Pour cette raison, le sociologue Max Weber avance que « l’État doit être protégé contre toute forme d’actions qui peuvent compromettre l’exercice du pouvoir et son existence ». Cela implique la nécessité absolue pour l’État de disposer des services publics devant lui permettre d’user de ses prérogatives du monopole de la violence légitime et d’assurer son autorité et sa puissance publique sur l’ensemble de son territoire national. Cela relève de la responsabilité première d’un État (Gouvernement congolais pour le cas présent) et non de la communauté internationale.

Mais depuis un temps, face à la déliquescence de l’armée congolaise due au manque de volonté politique en premier lieu, le Gouvernement congolais dans un subtil stratagème de projection psychologique déresponsabilisante, veut se dédouaner de sa responsabilité première sus-évoquée pour amener l’opinion à croire qu’il revient à la Communauté internationale, notamment la Monusco, de défendre le territoire congolais et d’assurer la sécurité des populations.

Il s’agit là d’une rhétorique de diversion visant à induire en erreur l’opinion publique au point que depuis un temps, on assiste à des manifestations hostiles, particulièrement à Goma, des populations contre la Monusco. Une population qui semble oublier que c’est d’abord au Gouvernement congolais d’assumer sa puissance publique en assurant constitutionnellement l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national.

Le double langage du gouvernement congolais face à la communauté internationale

Un autre point qui mérite d’être soulevé est le double langage tenu constamment par le pouvoir congolais à l’égard de la communauté internationale. Celle-ci est saluée par le Gouvernement, via généralement et souvent son porte-parole, lorsqu’elle agit pour suppléer sa défaillance étatique et qu’elle est décriée lorsque la communauté internationale agit pour faire valoir les intérêts supérieurs de l’Etat congolais et non des intérêts politiciens du pouvoir en place.

Deux exemples suffisent à mettre en lumière dette double dialectique duale et antithétique.

1.    Lorsqu’en mars 2013, le Conseil de sécurité a voté la résolution 2098 créant la brigade spéciale, on a assisté à une euphorie triomphaliste hors normes du pouvoir et ses partisans se félicitant des résultats du lobbying de sa diplomatie.

lors que tous les observateurs sérieux savent que cette résolution est le fruit d’une série de plaidoyers menés particulièrement par un groupe d’ONG (HRW, Oxfam, ICG, Global witness, Eurac…) à New-York (ONU) et à Washington (Département d’Etat) pour ramener le dossier Congo à l’ordre du jour des préoccupations internationales.

Cela a même donné droit à une déclaration pathético-irresponsable du ministre congolais des Affaires étrangères, M. Raymond Tshibanda, qui a tonné que « La rébellion M23 doit cesser d’exister comme un mouvement politico-militaire »… Sinon, « la Brigade (NDLR: d’intervention de la Monusco et non les FARDC!) s’occupera à mettre fin à son existence ».

2.    Lorsqu’à la suite de la signature de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et du vote de la résolution 2098 enjoignant au gouvernement congolais d’organiser un dialogue inclusif en vue de trouver une solution durable à la crise congolaise, qui n’est pas que sécuritaire mais aussi politique, sous la médiation de la communauté internationale, le même Gouvernement qui s’en est réjoui quelques mois plus tôt, se rebiffe lorsqu’il faille faire appel à un médiateur international neutre pour résoudre la crise congolaise.

C’est le cas lorsqu’à la suite de la convocation des « concertations nationales », l’opposition et une majorité de la société civile ont rappelé au président Kabila les prescrits de l’Accord-cadre et que le nom du président voisin, Denis Sassou Nguesso, était de plus en plus cité comme médiateur de ses assises.

Là on a assisté à un réflexe « instinctif » conservateur de défense des acquis et rentes politiques individuels qu’à une attitude  d’hommes d’Etat visant à privilégier l’intérêt national de la part des membres de la majorité présidentielle. Ils « se sont dressés sur leurs ergots dans un réflexe nationaliste finalement très kinois. Thème : pourquoi avoir recours à un facilitateur pour une crise qui n’existe pas ? » (Jeune Afrique, 13/08/2013).

Ainsi, ce double langage contradictoire du pouvoir congolais, lequel - lorsque ses intérêts et calculs politiciens (et non l’intérêt suprême de la nation) sont en danger - brandit la souveraineté nationale. Mais lorsqu’il s’agit de restaurer la sécurité et l’autorité de l’Etat, première mission de l’Etat (telle que définie supra), c’est derrière la communauté internationale que le Gouvernement projette son irresponsabilité.

Au gouvernement congolais d’assumer en premier lieu et en définitive la sécurité de la RDC

Le drame de la RD Congo est que, trop souvent, sa supposée élite politique et son intelligentsia, si elles existent encore, se laissent emporter par des comportements compulsifs émotionnels là où il faille appliquer la raison.

Lorsque d’un côté le pouvoir congolais se réjouit de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et du vote de la résolution 2098, très peu d’intellectuels congolais se sont appesantis sur leur analyse. L’opinion publique s’est ainsi laissé aller et flouer par l’une ou l’autre disposition qui arrange le pouvoir.

D’où, son incompréhension chaque fois que les officiels internationaux (Ban Ki-Moon, Robinson, Catherine Ashton, Köbler, le général  Carlo Alberto dos Santos Cruz…) leur rappelaient que ni la brigade d’intervention encore moins la Monusco dans son ensemble n’étaient la solution à l’insécurité à l’Est de la RD Congo. Des messages mal interprétés par les populations locales manipulées par les politiciens.

Et pourtant, en allant jeter un coup d’œil sur la résolution 2098, on peut y lire ce qui suit : « Soulignant que le Gouvernement de la République démocratique du Congo est responsable au premier chef de la sécurité, de la protection des civils, de la réconciliation nationale, de la consolidation de la paix et du développement dans le pays, et l’engageant instamment à demeurer pleinement attaché à la mise en œuvre de l’Accord-cadre et à la protection des civils en se dotant de forces de sécurité professionnelles, responsables et durables, en mettant en place une administration civile congolaise, en particulier dans les secteurs de la police, de la justice et de l’administration territoriale et en faisant prévaloir l’état de droit et le respect des droits de l’homme ».

Mieux encore, la résolution 2098 exige au Gouvernement congolais, avec les bons offices de la Monusco :

- d’élaborer une feuille de route claire et globale pour la réforme du secteur de la sécurité, comprenant notamment des critères de référence et des échéanciers pour la  mise en place d’institutions de sécurité efficaces et responsables;

- de poursuivre la réforme de l’armée, dont la première étape consistera à mettre en place au sein des FARDC une force de réaction rapide bien équipée, bien formée et dont les éléments ont été agréés et qui constituerait le noyau d’une force de défense nationale professionnelle, responsable, bien entretenue et efficace, et appuyer, selon qu’il conviendra et en coordination avec les partenaires internationaux, la formation de la  force de réaction rapide, qui devrait, eu égard aux critères et calendrier définis dans la feuille de route pour la réforme du secteur de la sécurité, développer la capacité d’assumer dès que possible les responsabilités en matière de sécurité dévolues à la brigade d’intervention de la Monusco;

- d’élaborer un plan unique global de désarmement, démobilisation et réintégration et de désarmement, démobilisation, réintégration et réinsertion ou rapatriement pour les combattants étrangers et congolais qui ne sont pas soupçonnés de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de violations flagrantes des droits de l’homme, y compris les membres des FARDC, et appuyer, selon qu’il conviendra, la mise en œuvre de ce plan;

- de tirer parti du plan de stabilisation et de reconstruction pour les zones sortant du conflit armé élaboré par le Gouvernement et de la Stratégie internationale d’appui en matière de sécurité et de stabilisation pour contribuer à instaurer durablement un niveau minimum d’autorité et de contrôle de l’État dans les zones touchées par le conflit dans l’est de la République démocratique du Congo, notamment grâce à des initiatives locales visant à renforcer la sécurité, à rétablir l’autorité de l’État  et à permettre un relèvement socioéconomique durable.

Voilà des dispositions qui sont claires comme l’eau de roche et n’appellent aucun commentaire.  Même l’ambassadeur de la Russie à Kinshasa, un pays qui fait le contrepoids de la position dominante occidentale aux Nations unies, M. Anatoly Klimento, a été le tout premier à avertir les Congolais au cours d’un point de presse le 02 avril 2013.

« La RDC devrait profiter de l’arrivée de la brigade d’intervention de la Monusco pour se doter d’une armée efficace et dissuasive afin de ne pas toujours compter sur la communauté internationale », a-t-il déclaré.

A ce jour, aucune réforme exigée par le Conseil de sécurité de l’ONU n’est réalisée. Le président Kabila s’est plutôt contenté à promouvoir une centaine de généraux. La formation du 323ème bataillon de la force de réaction rapide et de la dernière promotion des officiers à l’académie de Kananga sont suspendues pour cause principalement de recrutement fantaisiste, clientéliste et ethno-régional des candidats inaptes.

Aux Congolais et leurs autorités d’assumer la responsabilité qui leur incombe de doter le pays d’une armée professionnelle et d’éviter le syndrome de projection psychologique sur la communauté internationale.

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