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15 juillet 2012

La mort d’un migrant dans un fourgon de l’armée agite l’île de Malte

Mamadou Kamara (DR)
Mamadou Kamara (DR)

Il y a quinze jours, à Malte, le Malien Mamadou Kamara est mort dans un fourgon de détention. Depuis, deux soldats ont été inculpés pour meurtre, un troisième pour falsification de preuves. La tragédie a suscité des prises de position inédites de l’Eglise, du Premier ministre et des partis politiques. En cause, le dur système de détention des migrants sur l’île devenue, depuis dix ans, une porte d’entrée de l’Europe.

Nous ne sommes pas là pour blâmer les soldats ou la police ou encore les personnes travaillant dans les services de détention. Nous sommes là pour blâmer le système. Le problème est le système de détention“, a déclaré mercredi 11 juillet Ali Konaté, l’un des leaders du Migrant’s Network for Equality*. Face à lui, au coeur de La Valette, environ 500 personnes, dont quelques députés, l’écoutent religieusement. Ils sont venus participer à la marche silencieuse à la mémoire de Mamadou Kamara. Ce Malien de 32 ans est mort vers minuit, le vendredi 29 juin, dans un fourgon de détention de l’armée. Sur les cinq membres des forces de l’ordre présents au moment des faits, deux soldats ont été inculpés pour meurtre, un troisième pour falsification de preuves. Depuis, les médias, les politiques et des groupements citoyens se disputent l’interprétation de sa mort.

Il y a trois mois, nous nous étions rendus sur cette île-Etat à peine plus grande que Marseille, frontière la plus méridionale de l’Europe (Canaries mis à part). Notre reportage (Malte, Alcatraz de l’Europe pour migrants africains) décrivait l’absurdité du système d’enfermement. Côté Maltais, l’opinion publique a toujours regardé d’un mauvais œil ces quelque 14 000 migrants africains débarqués depuis 2002.

Le charismatique Ali Konaté nous expliquait alors qu’en détention, “enfermé sans raison, vous n’avez rien à faire. Vous ne cessez de cogiter, cogiter, cogiter… Votre tête ne peut supporter ça“. Pour ne pas passer, comme Ali Konaté, dix-huit mois derrière les barreaux, Mamadou Kamara avait décidé de s’évader du centre fermé de Safi. Depuis quatre ans, il vivait à Malte en homme recherché, mais libre.

Des coups dans l’estomac et dans le bas du dos

Devant le tribunal, les inspecteurs en charge de l’enquête de sa mort ont tenté de reconstituer les faits. Vendredi 29 juin, Mamadou Kamara se pointe au centre de santé Paola, ville du sud-est de l’île, pour recevoir des soins. S’apercevant qu’il est en fuite, le personnel du centre le retient et alerte les autorités. A 22h30, tandis que des agents en civil le conduisent vers une cellule d’isolement, Mamadou Kamara parvient à s’enfuir. Deux soldats de 29 et 44 ans se lancent à sa poursuite au volant de leur fourgon de détention.

Vers 23h45, il retrouvent Kamara caché derrière un véhicule bleu. Après l’avoir frappé, ils l’interpellent et le placent dans la “cage”, à l’arrière de leur fourgon. A la fin du trajet de deux minutes menant au centre de santé Paola, Mamadou Kamara est trouvé étendu sur le plancher. Il a perdu connaissance. Les agents lui passent tout de même une paire de menottes aux poignées, une seconde aux mollets. Un médecin du centre déclare la mort du migrant malien à 00h30.

Devant les enquêteurs, le troisième soldat présent au moment des faits a fini par dénoncer les mensonges de ses deux collègues. Ces derniers, ayant réalisé que leur détenu était mort, auraient immédiatement imaginé un alibi consistant à répéter : “Nous dirons tous qu’il a offert une résistance jusqu’à la toute fin”. Des sources policières ont confié au Sunday Times que l’autopsie révélait que Mamadou Kamara avait subi de multiples coups dans l’estomac et dans le bas du dos. Ils ont ajouté qu’il n’est pas mort de causes naturelles, mais “de nombreux coups“.

“Les comportements racistes vont à l’encontre de l’Evangile”

Quinze mois plus tôt, Infeanyi Nwokoye, détenu nigérian de 29 ans, était mort en tentant de s’échapper du centre de détention de Safi. Sa disparition n’avait pas fait grand bruit. Le simple mot “intégration” s’assimile à un “gros mot” sur l’île, nous avait confié Martin Scicluna, conseiller politique auprès du ministre de l’Intérieur maltais. Mais aujourd’hui, la mort de Mamadou Kamara ébranle l’opinion publique maltaise.

Le Premier ministre Lawrence Gonzi en personne a lui même annoncé la création d’une enquête sur les circonstances de la mort de Kamara. Il a ensuite reçu une dizaine d’ONG défendant les droits des migrants. Des membres de partis politiques comme le Labour ou le Nationalist Party ont condamné “tous les actes de violence, y compris à motivation raciale” et, fait rare, exprimé leur solidarité aux migrants. L’Archevêque Paul Cremona et Mario Grech, évêque du diocèse de Gozo (petite île au nord), ont appelé les Maltais à réfléchir à leur attitude envers les migrants : ”Les commentaires, paroles ou comportements racistes ou blessants vont à l’encontre de la dignité humaine et des enseignements de l’Evangile“.

Jointe par téléphone à Malte, Léa Lemaire, chercheuse à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et spécialisée sur la question des migrants sur l’île, nous précise le sens de leurs paroles.

“A ma connaissance, c’est la première fois que l’Église, restée silencieuse jusqu’à présent, se prononce en faveur d’une réflexion sur le système de détention. Au regard de l’influence de l’Église catholique à Malte, ce positionnement est susceptible d’ouvrir un débat autour de la détention des migrants au sein de la société maltaise.”

Un groupe Facebook pour soutenir les soldats inculpés

En soutien aux policiers inculpés, un groupe Facebook est né. “Justice pour le sergent Mark Dimech et ses collègue” affiche au compteur près de 10 000 membres. Son objectif est de “montrer de la solidarité avec trois soldats qui sont allés faire leur boulot et qui se sont trouvés impliqués dans un incident qui a fini par être instrumentalisé par les partis politiques, les ONG et par la Kurja (l’Eglise)“.

La spécificité du cas maltais réside depuis 2005 “dans le caractère systématique de la pénalisation de la migration“, détaille Léa Lemaire. Avec ce régime carcéral, nombre de migrants deviennent fous. A dix minutes à l’ouest de La Valette, le service Ward B de l’hôpital psychiatrique Mount Carmel réserve désormais une trentaine de places pour les migrants souffrants de problème mentaux.

Dénonçant la violence de ce système davantage que le comportement isolé de soldats, la manifestation de mercredi s’est achevée dans le calme. Ali Konaté a conclu son discours sous les applaudissements.

“S’il vous plait, changez le système. Voyager sans document n’est pas notre choix. Nous devons le faire. Il n’y a aucune raison de mettre en prison les migrants. En réalité, les prisonniers bénéficient de meilleures conditions de détention que les migrants.”

Signe que l’onde de choc de cette affaire n’est pas terminée, aujourd’hui même, le ministre de l’Intérieur maltais a annoncé la suspension d’un officier du service de détention, pour avoir traité des migrants de “singes derrière un grillage“.

Geoffrey Le Guilcher

*Réseau de migrants pour l’égalité./les inrockuptibles

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