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Kasai Direct
10 juillet 2012

RDC/Rwanda : cris et chuchotements

Congo-Forum

Les commentaires sur la guerre à l’Est du Congo se divisent en deux catégories, quant à l’implication du Rwanda. Il y a ceux qui n’en parlent qu’à mots couverts et ceux qui hurlent à tue-tête.

Le pouvoir congolais semble faire partie des deux catégories à la fois. Tonitruant quand il s’agit de crier à la patrie en danger et d’appeler à l’union de tous derrière lui, il recourt cependant aux plus pudiques périphrases pour désigner le Rwanda, alors que chacun sait ce qu’il y a derrière les mots « pays voisin » ou « puissance étrangère ».

Il ne pourrait pas montrer plus clairement qu’à ses yeux, ce qui est important n’est pas de gagner ou de perdre cette guerre, mais bien de bénéficier du « sursaut d’union nationale » auquel il appelle pour essayer de conforter sa légitimité plus que douteuse.

 

En effet, il ne saurait prétendre tirer sa légitimité des élections. Les élections du 28/11/11 ont donné des résultats qui, en réalité, sont encore inconnus. Les fraudes les plus importantes ayant eu lieu au niveau des centres de compilation, on ne pourrait se rapprocher de la « vérité des urnes » qu’en se référant aux PV des bureaux de vote, dernière opération publique et vérifiée par des témoins. Les chiffres de la CENI ne s’accompagnaient pas de ces PV, les chiffres publiés par l’UDPS, non plus. L’Eglise n’a jamais publié les résultats partiels constatés par ses observateurs. On n’a donc que des résultats dont la crédibilité est nulle. Les législatives ont été dignes de la présidentielle, sinon pires. Mais la CSJ a entériné les résultats de la présidentielle et des législatives. Le temps s’est écoulé, les résultats des élections demeureront à jamais inconnus. Toute autorité prétendue ne relève plus que de la force, de l’intimidation, d’un coup d’état de fait. Le principal ressort de ce coup d’état consiste à progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui suivent normalement une élection et à mettre le pays et le monde devant le fait accompli.

 

Est-ce à dire que la Guerre de l’Est n’est qu’une simple comédie, destinée à permettre cet effet de « légitimation par détournement du patriotisme » ? Nullement !

Mais cette guerre n’a pas pour finalité de gagner des territoires ou d’imposer par la force une thèse politique au détriment d’une autre. Son but est le maintien de l’état de guerre lui-même. Par une technique qui a fat ses preuves, puisqu’elle était utilisée déjà par Léopold II à la sinistre époque du « caoutchouc rouge », l’état de guerre fait partie du mécanisme d’exploitation. Seule différence, le Red Rubber d’hier a été remplacé par les Blood Minerals.

Le capital international entend en revenir partout aux méthodes libérales sauvages telles qu’elles florissaient sous Léopold II. En Europe, bas salaires, absence de toute sécurité sociale, répression de toute activité non-conforme sous prétexte de « terrorisme ». En Afrique : travail forcé, terreur par la violence, le meurtre et le viol.

 

Une partie des Congolais et des quelques amis que les Congolais comptent encore dans le monde en s’embarquant dans le vaisseau de la « lutte contre la balkanisation du Congo ». Sans doute sont-ils sincères et même ont-ils en partie raison, en ce sens que le Rwanda manifeste en effet un grand appétit pour les richesses congolaises. Mais il ne faut pas confondre son appétit de richesse avec une envie de conquêtes territoriales, que celles-ci revêtent la forme d’une annexion ou de la création d’un état fantoche, dit du « Kivu indépendant ». Le maintien de l’état de guerre suffit à son bonheur.

 

La frontière qui sépare le Congo du Rwanda est une ligne totalement artificielle tracée à l’époque coloniale. Quand une colline a été coupée par cette ligne, croit-on que tous les cailloux contenant un minerai quelconque se sont réfugiés sur le versant congolais ? Non, évidemment ! Tous les gisements frontaliers se poursuivent de l’autre côté de la frontière. Pourquoi, dès lors, le Rwanda n’exploite-t-il pas son propres coltan et se contente-t-il d’avoir une bourse aux matières premières que l’on devrait appeler « marché aux voleurs » ? (Il est d’ailleurs ridicule de chercher des « preuves de l’intervention rwandaise » dans des étiquettes de munitions ou de godillots, quant l’existence même d’une telle bourse, permise par le gouvernement Kagame, est mieux qu’une preuve. C’est un aveu !)

La réponse est simple. Il n’est nullement nécessaire de conquérir un pays pour l’exploiter. Mittal Steel a ruiné la sidérurgie wallonne pour son profit personnel, sans que l’Inde ait eu à conquérir la Belgique !

 

Kagame s’efforce de passer aux yeux du monde entier, et en particulier de ses « parrains » américains, pour un homme de progrès et de bonne gouvernance. Pour maintenir cette image, il ne faut pas que le Rwanda soit un pays où les investisseurs font n’importe quoi, où toute précaution contre les accidents du travail est absente, où les salaires sont misérables et payés tous les 36 du mois, où les enfants descendent dans les mines. Conquérant, le Rwanda se verrait forcé, comme les colonisateurs belges d’hier, de justifier sa présence par un certain nombre de mesures sociales et humanitaires. C’est à dire de faire, aux yeux du capitalisme néolibéral, de gaspiller de beaux profits en vilaines dépenses inutiles. L’état de guerre est bien plus satisfaisant. Mieux vaut que ce paysage à la Léopold II reste l’apanage du Congo. Le Rwanda se borne à prélever son petit pourcentage au passage.

 

Une « guerre de conquête » est un moment passager visant à une fin. Jules César conquérant la Gaule visait non à organiser une guerre perpétuelle, mais à atteindre le moment où les Gaulois accepteraient l’autorité d’un gouverneur romain. Dans l’Est du Congo, il ne s’agit pas de conquérir, mais d’entretenir l’état de guerre lui-même.

C’est pourquoi, comme ces poupées russes qui se déboîtent, les rébellions-gigogne se succèdent. Les RCD a engendré le CNDP/Nkunda, celui-ci a accouché du CNDP version Ntaganda, qui a pondu le M23. Il n’y a pas de raison que cela cesse. 

Simultanément, ces rébellions sans cesse renaissantes servent à éviter l’implication directe du Rwanda. Celui-ci n’est pas, en effet, accusé d’agresser la RDC, mais de favoriser une mutinerie congolaise en lui fournissant des armes, des munitions, un appui logistique, voire un « sanctuaire » sur son territoire.

 

Une guerre qui avouerait en être une provoquerait des réactions internationales. Elles pourraient être de deux types.

Comme au cours de la guerre de 1998, d’autres voisins pourraient être appelés à la rescousse. On pense en particulier à l’Angola, qui possède des avions particulièrement adaptés à ce genre de guerre. De plus, officiellement attaqué par le Rwanda, le Congo aurait la faculté de ne pas se borner à son territoire, mais d’attaquer en tous points du Rwanda, par exemple en bombardant Kigali.

D’autre part, dans une guerre internationale avouée, la mission des Casques bleus ne devrait plus être limitée à la « protection des civils durant une guerre interne ». Bien entendu, l’ONU prêcherait pour un cessez-le-feu et une paix négociée. Mas les soldats de l’Onu ne pourraient recevoir d’autre mission que s’interposer entre les belligérants, c'est-à-dire d’isoler le Congo du Rwanda. Cela nuirait grandement à certains trafics que l’état de guerre sert à maintenir.

 

 Car la situation qui résulte des hasards de la géographie et de l’histoire est déjà, du point de vue du capital exploiteur, magnifique.

 

Il y a un pays, la RDC, disposant de ressources minières, non encore exploitées industriellement. Ce même pays ne dispose pas des moyens administratifs et militaires d’exercer sa souveraineté[1]. Il est dirigé, partout sur son territoire, par une bourgeoisie attentive à son seul profit immédiat. Dans l’Est, cette bourgeoisie spoliatrice a des liens A LA FOIS avec le reste de la bourgeoisie congolaise, par solidarité de classe et avec la classe dominante dans la dictature rwandaise, du fait d’une parenté ethnique. Il ne faut pas attendre, de la bourgeoisie « vraiment congolaise » et qui s’en vante, qu’elle se désolidarise des « zaïrwandais ». Car déboulonner ceux-ci serait remettre en cause le mécanisme de spoliation mobutiste sur lequel reposent TOUTES les fortunes du pays, même très loin de la frontière Est[2]. Il n’en est donc pas question : on criera, on gesticulera et on palpera son pourcentage des bénéfices comme les autres.

Les liens de solidarité ethnique avec le Rwanda permettent aux pillards de disposer à l’Est d’une frontière perméable. Grâce à celle-ci, le Rwanda peut jouer le rôle de plaque tournante du trafic et d’interface entre les « proxys » africains et les véritables exploiteurs « en gros », c'est-à-dire un certain nombre d’opérateurs anglo-saxons, mais aussi africains, arabes ou asiatiques[3], et même un certain nombre de nationaux de l’UE. Que voulez-vous ? L’argent n’a pas d’odeur !

Enfin, détail non négligeable, car il n’y a pas de petits profit, le fait que l’exploitation des minerais est artisanale permet de ne se soucier en rien du salaire ou de la sécurité des mineurs. Au contraire « l’insécurité » permet de recourir à la menace et au travail forcé !

 

Cette situation permet de prévoir que l’on évitera sans doute un certain nombre d’erreurs qui réduiraient à néant ces magnifiques et juteux avantages. Notamment :

 

  1. Même s’il existe un site web des « indépendantistes kivutiens », il ne faut guère s’attendre à une sécession « façon Katanga 60 ». L’un des buts de celle-ci était de laisser entre les mains de l’UMHK de précieuses installations minières et industrielles. Il n’y a rien de tel à protéger au Kivu. Par contre, le fait qu’il soit toujours partie intégrante de la RDC permet d’y maintenir les FARDC qui participent à l’insécurité, nécessaire au recrutement d’esclaves.
  2. Il est peu probable que Kagame ait fort envie soit d’annexer tout ou partie des Kivu, soit d’entretenir à sa porte un Kivu indépendant. Encore une fois, cela supposerait des dépenses de souveraineté, un minimum de réalisations sociales qui coûteraient, alors que le rôle de plaque tournante du trafic rapporte et ne coûte rien[4].
  3. Les Kivu, qui sont très peuplés par rapport à la moyenne nationale congolaise, le sont cependant de manière beaucoup moins dense que le Rwanda. Cela crée ipso facto une sorte de « vide » relatif qui attire fatalement les gens des zones surpeuplées. Il se peut que certains jugent souhaitable que l’Est du Congo joue ce rôle d’exutoire. Il peut même être double : permettre de « lâcher de la pression » en diminuant la pression démographique en général, mais aussi utiliser au Congo des militaires trop remuants. Tout ceci ne demande pas forcément une sécession ou une annexion. Il suffit que par des accords (p.ex. la CEPGL) la liberté de circuler, de travailler, de s’établir, d’investir soient assurés aux ressortissants d’un certain nombre de pays. Compte tenu de sa taille, la RDC sera d’office le dindon de la farce.
  4. L’insécurité étant partie intégrante du système productif, basé en partie sur la terreur, il faudrait également que ces accords comprennent des clauses de libre circulation militaire.

 

En s’offrant un battage publicitaire nationaliste et patriotique, le pouvoir en place à Kinshasa a pris un risque. Il montre combien le maintien de la fructueuse situation de guerre à l’Est lui importe.

 

Guy De Boeck

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