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Kasai Direct
16 septembre 2021

Photo souvenir

 

Après d’interminables pluies, je suis très heureux de voir enfin le soleil briller ce matin de septembre sur la petite école cachée dans une végétation luxuriante de W., en Allemagne.

Les élèves viennent de sortir pour la pause casse-croûtes, appelée Zwischenmahlzeit en allemand. Et moi aussi, je viens de changer de salle de classe. J’ai toujours aimé celle que j’occupe maintenant à cause de la vue qu’elle me donne, de sa grande fenêtre sur ce château historique, entièrement rénové au milieu d’une large cour entourée des arbres, vieux de plusieurs siècles, grands comme des tours, invitant au repos et au recueillement. Aujourd’hui, le château est une clinique ultra-moderne pour les âmes en souffrance.

Comme d’habitude, de la fenêtre où je me trouve, mon regard cherche d’abord, à travers les rideaux des arbres, cette vieille bâtisse imposante qui garde encore toute sa beauté  avec son architecture sculpturale sous les toits aux feuilles d’ardoise, troués par des petites fenêtres blanches. Ils sont surplombés d’une coupole au sommet de laquelle trône une flèche pointée vers le ciel. Puis, mon regard revient dans les branches des arbres, à la recherche des oiseaux dont les cris arrivent jusqu’à moi. Mais ma place préférée, c’est le petit poulailler installé juste à côté de l’école. La vieille carrosse, retapée au bois de chêne ciré, sert de logis aux poules invisibles présentement sur la basse-cour. Je les aperçois quelques minutes plus tard, cachés entre les touffes d’herbes plantées un peu partout pour donner au tout un aspect rustique. Elles sont environ une vingtaine, de plusieurs couleurs et de plusieurs races, marchant en picorant comme des moines en prière.

Tout à coup, le grincement d’une porte qui s’ouvre derrière moi. Je me retourne, c’est Simone, notre chargée d’administration. Une belle femme blonde dans la cinquantaine avec ses cheveux couleur de blé arrivé maturité. Elle se rapproche de moi, toute souriante.

- Tu observes les poules ? me demande-t-elle.

- Comme toujours.

- Ce matin, j’ai été au poulailler après ma petite promenade matinale, me dit-elle. C’est très reposant de voir les poules picorer dans cette verdure. J’aime.

Pendant que nous causons, nous n’avons pas vu les minutes s’égrener. Sur la route reliant le château à l’école, les élèves reviennent déjà par petits groupes de trois, de deux ou de singleton. Lorsqu’ils se rapprochent, nous remarquons une, sans masque, devançant les autres à plus ou moins une dizaine de mètres.

- Tu connais cette fille-là, me demande Simone.

- Non, dis-je, c’est très difficile de mettre un nom sur un visage sans masque !

Elle me regarde, étonnée.

- Comment donc ?

Je lui explique que tous ces enfants nous arrivent masqués, les assistants qui nous les amènent sont masqués, chaque matin, ils viennent aux cours masqués, apprennent masqués et rentrent à leurs stations respectives, masqués. Ce n’est que dans leurs yeux que nous lisons leur joie comme leur tristesse ; nous avons oublié leurs nez, nous avons oublié leurs bouches, nous avons oublié leurs joues ! Dieu merci, puisque, au moins ils ne changent pas continuellement de coiffure. Si non, ce serait catastrophique ; nous nous demanderions constamment qui est qui! Nous nous sommes donc si habitués aux visages masqués que, sans masque, je ne reconnaîtrais personne !

- Tu as raison, me dit Simone, cette pandémie risque de nous faire perdre le sens même de l’humanité !

La porte grince de nouveau ; la fille de toute à l’heure entre dans la salle, la moitié de son visage est maintenant masquée, comme toujours. Alors, nous nous écrions, Simone et moi : « Ah ! Corine ! ». La pauvre, ne comprenant rien, nous regarde, les yeux grandement ouverts. Simone lui explique le problème que nous avions tout à l’heure.

- Vous savez quoi ? nous demande Corine ; je venais juste vous annoncer que, demain, je rentre à la maison. Ma thérapeute estime que mon état s’est amélioré. Alors, nous n’allons pas laisser la COVID-19 changer nos bonnes habitudes. Vous avez été très gentils envers moi. J’aimerais rester avec un bon souvenir de vous : une photo sur laquelle nous apparaîtrons tous sans masques. D’accord !

Joignant le geste à la parole, Corine se plante aussitôt entre nous deux, sort son portable pour un selfie. Nous nous consultons du regard, et, d’un geste automatique, nous baissons les masques, laissant le visage à découvert, pour une photo souvenir.

 

 

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