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Kasai Direct
3 avril 2014

A Kinshasa, enterrer les morts ruine les vivants

N’enterre pas ses morts qui veut dans la capitale congolaise Kinshasa, où la mode est aujourd’hui aux dépenses somptueuses et ruineuses, mêmes pour des familles aux revenus assez modestes…

Morgue de l’hôpital Saint Joseph à Limete, samedi 29 mars, 11h. Inconsolables, des mamans en sanglots se roulent par terre, atterrées par la douleur de perdre un fils dans la fleur de l’âge. Au milieu de ces femmes éplorées, d’autres membres de famille dont des hommes, font montre de courage en essayant de relever les personnes à terre. D’autres, des papiers mouchoirs en mains, contiennent leur peine en essuyant les larmes qui leur perlent des yeux. Adossé à une vieille voiture de marque Toyota rouge qui a amené quelques instants plus tôt le corps sans vie à cette morgue, Athanase, un septuagénaire qui vient de perdre là son petit-fils de 19 ans, par ailleurs son homonyme, est très abattu. Les yeux levés au ciel comme pour implorer un quelconque secours divin, il laisse libre cours à son désespoir ! « Gaston, la famille n’avait déjà pas de quoi te soigner de ton vivant, où allons-nous trouver de l’argent pour organiser les funérailles afin de t’offrir un enterrement digne ? Seigneur, comment allons-nous faire !? », se dit le vieil homme à lui-même avec des trémolos dans la voix.

UN COMMERCE FUNEBRE FLORISSANT
La douleur de cette famille éplorée parait sans fin. Car, elle sait qu’enterrer un mort aujourd’hui à Kinshasa coûte les yeux de la tête aux vivants. La mode est aux dépenses somptueuses et ruineuses, même pour des familles aux revenus modestes. Les premières dépenses commencent, lors du retrait de la dépouille mortelle. A la morgue, il faut faire face à tout un chapelet de frais : 10 000 Fc (10,8 $) par jour de conservation du corps au frigo, 10 $ pour le certificat de décès, 10 $ pour les agents, autant pour laver le corps… La dépouille doit ensuite être embaumée et chiquement habillée. Pour habiller son frère mort, un enseignant du primaire confie qu’il avait épuisé ses petites économies. Il dit avoir dépensé jusqu’à 300 $ pour l’achat d’un costume, des chaussures neuves, une chemise, une cravate, des chaussettes et des gants blancs…
Mais ce n’est pas tout. Pour la famille du disparu, le plus dur est à venir. Car il faut acheter un cercueil, louer un corbillard, une chapelle ardente de préférence avec tapis rouge, catafalque, tentes, chaises, acheter des gerbes de fleurs, louer une fanfare… "Nous fournissons une chapelle six piquets, la décoration qui va avec, le catafalque, plus deux tentes, deux cents chaises et une caméra pour le reportage à 900 $, propose Altobeli, gérant d’une entreprise de pompes funèbres.

Un commerce funèbre très vivace fleurit sous les fenêtres de l’Hôpital général de Kinshasa. Le malaise des patients n’embarrasse ni les autorités ni les marchands du temple : l’offre répond simplement à la demande…Cercueils, croix, chapelles ardentes, corbillards, couronnes et vêtements mortuaires. A plus de 100 mètres de l’hôpital ex-Mama Yemo, malades et familles sont déjà dans l’ambiance. Le long de Wangata, la grande avenue qui y mène, le commerce de la mort est au rendez-vous. Une vingtaine d’entreprises de pompes funèbres se sont installées aux portes même de l’établissement, comme pour attendre les morts qui en sortent. Dans une cacophonie de surenchère, tels des charognards, les vendeurs se disputent les clients. Dans ce bric-à-brac mortuaire, seules des pharmacies, qui se comptent sur le bout de doigt de la main, redonnent espoir aux malades en leur rappelant utilement qu’il y a une vie avant la mort.
Selon un préposé à la morgue de l’Hôpital général de Kinshasa, tous les mois, un à deux corps des indigents dont les proches ne peuvent supporter la panoplie de dépenses mortuaires sont ainsi abandonnés. Le service social de l’Hôtel de ville avec l’aide de la Croix rouge se charge alors de les enterrer.

UNE OCCASION POUR EXHIBER SA FORTUNE
Selon qu’on veut enterrer son mort dans un cercueil en bois rare finement travaillé ou pas, celui-ci peut coûter les yeux de la tête. Entre 180 et 1000 $. Le corbillard, il y en a pour toutes les bourses, du camion à la limousine : 50 $ pour le plus modeste, jusqu’à 200$ pour le modèle de luxe. Du plus simple au plus décoré, une chapelle ardente coûte entre 120 et 1000 $... Dans certains quartiers de Kinshasa où les rues sont étroites et les parcelles peu espacées, de plus en plus les corps sont exposés pour les derniers hommages dans des salles de fête, des cours des maisons communales, des salles paroissiales ou des terrains de foot, loués entre 200 et 500 $, selon un gérant d’une salle dans la commune de Masina. A cela s’ajoutent les uniformes en pagne que se confectionnent les membres de famille ou les proches du disparu pour les derniers hommages. Dans la capitale, les cérémonies funéraires prennent ainsi une allure de grosse fête qu’il faut, pour obéir à la mode, à tout prix réussir.

C’est au début des années 90 qu’enterrer un mort avec pompe est devenu presqu’une tradition à laquelle trop peu de familles se soustraient. Avant, le deuil se passait dans le recueillement. Les morts étaient enterrés un ou deux jours après leur décès, explique Sylvain Gomo, un lieutenant des FARDC qui attend sa retraite de l’armée. Alexandre Kotanze, un septuagénaire, pense que les gens dépensent aujourd’hui beaucoup d’argent pour des funérailles parce qu’ils ont fait de la mort une occasion d’exhiber leurs richesses. A l’instar des naissances ou des mariages. ?A la place du deuil, on organise des cérémonies jubilatoires. Même des familles pauvres préfèrent se ruiner complètement alors que 400 $ auraient suffi, du vivant de la personne, pour ses soins !?, déplore Kotanze.

SE SAIGNER A BLANC
Pourtant, en République démocratique du Congo, le revenu moyen des familles ne dépasse pas 100 $ par mois. Se saigner à blanc pour s’offrir des funérailles est incompréhensible. Pour les familles nanties, ces dépenses ne posent aucun problème. Ils viennent avec la liste d’objets qu’ils désirent, paient au comptant et s’en vont, témoigne Altobeli. Chez les moins fortunées, on se donne la main. La solidarité au sein de la famille, la générosité des voisins et amis aident à se sortir quelque fois du problème. Mais d’autres s’endettent carrément auprès des pompes funèbres, ou chez des usuriers. Quand ils s’endettent en nature (cercueil, corbillard, croix…), c’est de l’argent comptant qu’ils empruntent ?, explique Innocent Yeye, cambiste et usurier qui accorde des prêts parfois avec 50% de taux d’intérêt.
Les jours qui suivent l’enterrement ne sont pas faciles à vivre non plus. Déjà suffisamment ruinées, les familles éprouvées par la perte d’un de leurs doivent observer une période de 40 jours de deuil. Des proches restent encore là pendant quelques jours pour les consoler. Les dépenses se poursuivent, jusqu’au jour où le deuil sera définitivement levé… Là aussi, c’est d’autres dépenses pour le 40ème jour. DIDIER KEBONGO

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