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18 janvier 2014

Labille : "L'Europe ne peut rater le décollage de l'Afrique"


ENTRETIEN : VALENTINE VAN VYVE 

  • MOVE WITH AFRICA Entretien avec Jean-Pascal Labille, actuel ministre de la Coopération au développement.

Jean-Pascal Labille (PS) est pour 6 mois encore le ministre belge de la Coopération au développement. Il nous livre son regard sur celle que la Belgique et l'Europe entretiennent avec l'Afrique puisque, dit-il, les " destins de nos continents sont liés ". La plus grande protection sociale et la mise en place d'une déclinaison africaine du Plan Marshall trônent en tête de ses priorités. Il oscille pour ce faire entre l' "audace " et le " devoir d'au moins tout faire pour parvenir à engranger des avancées en matière de développement ". Et dans ce concert des nations, quelle est la place des jeunes ? Entretien.

Vous soutenez Move with Africa pour la 2è année consécutive. Qu'est-ce qui motive cet engagement ?

Au terme de la première édition, j’ai pu rencontrer les élèves qui étaient partis. Ils m’ont fait part de leur expérience, de ce qu’ils en ont retiré sur le plan humain, de leur changement sur la perception du monde et de son fonctionnement. C’est cela le moteur de notre soutien, le fait que des jeunes citoyens en devenir prennent conscience de la nécessaire aide que les pays riches se doivent de prodiguer aux populations en difficulté, qu’ils saisissent que l’enjeu de la solidarité ne relève pas seulement de leur commune, leur région ou leur pays mais qu’elle se situe avant tout à un niveau international. Les voyages forment la jeunesse dit-on, c’est une certitude lorsqu’ils sont de la nature de ceux organisés dans le cadre de cette opération. 

Quelle est l'importance d'intégrer la coopération au développement dans le cadre scolaire ? Pourquoi s'adresser à la jeunesse ? 

Ce sont les citoyens de demain à qui le monde appartiendra. Ce sont eux qui, demain, auront la possibilité de changer la manière dont tourne notre monde. Le phénomène des inégalités est sans doute ce qui doit focaliser aujourd’hui le plus leur attention. Peut-on accepter le principe selon lequel la vie que chacun soit déterminée par le lieu où l’on vient au monde ? On a jamais créé autant de richesses. Pourtant, la fortune de quelques hommes les plus riches dépasse le PIB des 48 pays les plus pauvres. Selon l’OMS, 100 millions de personnes passent chaque année en dessous du seuil de la pauvreté car ils doivent payer les soins de santé. En 2011, près d’un milliard de travailleurs vivaient avec moins de 2 dollars par jour. On pourrait se résigner et se dire que c’est l’ordre normal des choses. Ou bien se dire que c’est là une réalité contre laquelle nous devons activement lutter. La Coopération au développement contribue à faire des jeunes d’aujourd’hui les acteurs du changement de demain. 



Selon un récent sondage mené à l'échelle européenne, les Belges sont sensibles à la solidarité nord/sud et sont même prêts à donner plus qu'avant. Ce résultat vous surprend-t-il ? 

Non. C’est sans doute l’apanage des petits pays : on a une plus grande propension à regarder ce qui se passe autour de nous. Et face aux situations du sud, il est évident qu’on ne peut rester insensible. D’ailleurs, au-delà de ce que l’État fait en matière de Coopération au développement, de très nombreux Belges s’activent bénévolement par le biais d’associations à mettre en œuvre divers projets de développement. 

Certains fustigent le budget dédié à la coopération. Cet argent devrait selon eux être investi en Belgique. Que leur répondez-vous ? 

C’est évidemment une terrible erreur : lutter contre la pauvreté dans nos pays sans s’engager pour combattre la pauvreté et les conflits qui menacent la paix et la stabilité mondiales n’aurait aucun sens. Plus qu’un devoir moral, la coopération au développement est, assurément, de notre intérêt commun à tous. 

Monsieur Barroso affirmait lors des Journées européennes du développement que l'éradication de la pauvreté est une priorité pour l'Union Européenne. Est-elle toujours le leader en terme de coopération au développement ? 

C’est le principe même de la coopération au développement. Ceci étant, on le voit sur le terrain, cet objectif européen est mis à mal par la diversité des approches et des projets des différents États-membres qui souffrent d’un manque patent de coordination. Si l’Europe s’entend sur les objectifs, elle gagnerait aussi à s’accorder sur la manière de les atteindre. Et ce, au profit des populations aidées. 

La communauté internationale quant à elle peine à s'accorder sur des objectifs post 2015 pour le développement. Cela vous inquiète-t-il ? Croyez-vous que des avancées substantielles sont possibles ? 

Si les Objectifs du Millénaire ont constitué un cadre unique pour mobiliser des ressources financières pour lutter contre l’extrême pauvreté, ils n’ont pas permis de mettre en lumière les inégalités. C'est bien l'une de leurs grandes faiblesses. Le cadre de développement post 2015 doit dès lors mettre en place des politiques de « rattrapage ». Que cela prenne du temps, c’est tout à fait normal. Les acteurs autour de la table – 28 états – sont très nombreux. Pour autant, le monde politique a une obligation de moyens : nous devons au moins tout faire pour parvenir à engranger des avancées en la matière. Il faut faire preuve d’audace. J’ai moi-même plaidé durant ces journées européennes du développement en faveur d’une couverture sociale universelle qui ne laisserait aucun individu « hors du système ». Pendant longtemps, la communauté internationale a mis l’accent sur l’importance de la seule croissance économique dans la lutte contre la pauvreté. Aujourd’hui personne ne conteste que la croissance en soi n’est pas en mesure d’éliminer la pauvreté et la vulnérabilité. Les politiques publiques de protection sociale constituent selon moi l’une des meilleures et plus efficaces manières de combattre les inégalités. La communauté internationale doit dès lors donner à la protection sociale une place plus importante dans les débats politiques. 

Ellen Johnson Sirleaf (Présidente du Liberia) appelait récemment à un "changement de l'ordre mondial" dans lequel le continent africain fait entendre sa voix. Est-ce qu'on en prend le chemin ? 

J’en suis convaincu: l’Afrique sera LE continent du 21ème siècle. Ce continent connaît la plus forte croissance démographique au monde et la moitié de la population a moins de 25 ans. C’est pourquoi je n’ai eu de cesse d’œuvrer à une implication européenne plus forte en faveur de l’Afrique. Il est urgent que l’Europe reconstruise sa relation avec ce continent. L’Europe a raté le rendez-vous du printemps arabe. Elle ne peut rater le décollage de l’Afrique sous peine de mettre en péril le bien-être de ses propres populations. L'Europe a besoin de l'Afrique autant que l'Afrique a besoin de l'Europe. Nos destins sont liés. Au nom de ce lien, l’Europe doit impérativement se saisir de la situation de la région des Grands Lacs. Cette région constitue le cœur de l’Afrique. Et pour que le reste du corps puisse suivre, il est essentiel de s’assurer avant toute chose que le cœur soit en bonne santé. Cette région dispose d’un potentiel de développement humain, économique, culturel qui ne demande qu’à se révéler. Et l’Europe dans son ensemble doit l’y aider.

C’est à cette fin qu’au nom de la Belgique, j’ai fait la proposition d’initier, avec les états européens et les autres bailleurs, un "Programme de rétablissement de l'Afrique centrale" à l'image du Plan Marshall (ndlR: lancé par les USA pour la reconstruction de l'Europe au sortir de la deuxième guerre mondiale). Il s'agit de mettre en œuvre un plan pour aider la reconstruction durable de l'Afrique centrale dans son ensemble. Ce plan doit s’appuyer sur la mise en commun d’une partie des moyens que les états membres européens consacrent à la coopération au développement dans la région et permettre de financer des axes stratégiques élaborés par les pays de la région eux-mêmes. Par le biais de cette coordination des moyens européens et la mise en œuvre d’un développement plus stratégique, il s’agit d’initier une dynamique de changement qui doit permettre à chaque citoyen vivant dans la région des Grands Lacs de percevoir, dans son quotidien, un renouveau socio-économique, l’espoir d’un avenir meilleur. 

L'aide au développement s'est muée en coopération. Que répondez-vous à ceux (en Europe et en Afrique) qui disent que le développement, pour être efficace, doit être le fait des populations elles-mêmes et non des "coopérants" ? 

Je m’inscris pleinement dans ce propos. Nous devons veiller à rendre l’aide au développement plus efficace, via notamment l’amélioration de l’alignement sur les stratégies des pays, l’harmonisation et la coordination entre donateurs ou encore la responsabilité mutuelle. Ma seule et unique priorité est de faire en sorte que les effets de l’aide belge s’inscrivent dans la durée et profitent pleinement aux citoyens. C’est tout le sens de la logique de partenariat dans laquelle nous nous inscrivons. Le temps des solutions imposées aux pays partenaires est en effet révolu. Il nous faut aligner les projets de coopération que nous mettons en œuvre sur les politiques menées par les autorités des différents pays où nous intervenons. Elles sont les plus à même de définir leurs besoins. 

Avec l'arrivée massive d'entreprises chinoises en Afrique, la Belgique peut-elle encore conditionner son aide ? 

Évitons la fausse naïveté. Les investissements chinois sont eux aussi conditionnés mais à l’accès à une main-d’œuvre à très faible coût et aux ressources naturelles du continent africain. La Belgique conditionne son aide car nous voulons nous assurer qu’elle ait un réel effet de levier en faveur d’un développement durable des pays où nous intervenons. Mais une fois encore, ces conditions doivent nécessairement être identifiées avec les pays partenaires. Parce que c’est là la meilleure garantie pour s’assurer qu’elles seront utiles et durables. 

Vous arriverez à la fin de votre mandat en mai. Quel regard portez-vous sur ce qui a été accompli ? Le bilan est-il satisfaisant ? Quels sont les chantiers à finir d'ici-là et quels sont ceux que vous laissez à votre successeur ? 

Il me reste encore 6 mois et je compte bien en user pour aboutir dans les différents projets que nous avons initiés. J’aurais aimé avoir plus de temps. Il y a tant de choses à faire. Je laisserai le soin aux observateurs de tirer le bilan de mon action. Ceci étant, ce dont je suis le plus heureux est d’être parvenu à imposer sur la table des autorités européennes la question de l’action européenne menée en Afrique. C’était un premier pas nécessaire mais loin d’être acquis. Maintenant que c’est fait, il faut continuer dans la même foulée et parvenir à concrétiser une intervention coordonnée et plus efficace de l’Europe sur le continent africain. C’est un vaste chantier dans lequel notre pays peut – doit – jouer un rôle moteur.
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