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Kasai Direct
10 avril 2013

RDC: «Atalaku» ou l’urgence du témoignage

Une scène du film "Atalaku" de Dieudo Hamadi.
Une scène du film "Atalaku" de Dieudo Hamadi.
DR
Par Antoinette Delafin/RFI

Le film du Congolais Dieudo Hamadi, Atalaku, a obtenu le prix Joris Ivens au Cinéma du Réel 2013, le célèbre festival du documentaire qui s’est achevé fin mars à Paris. Il s’agit de son premier long-métrage, qu’il a effectivement tourné tout seul, caméra à l’épaule.

Les contraintes du Cinéma du réel, Dieudo Hamadi les a respectées à la lettre. Plutôt qu’un candidat, il a choisi de filmer des jeunes d’un quartier populaire de Kinshasa, ceux qui servent de « petites mains », pour filmer la campagne électorale de 2011 en République démocratique du Congo. Ces élections, législatives et présidentielle, ont eu lieu à l’issue du premier mandat du président Joseph Kabila, précise un carton d’entrée de jeu. C’est la deuxième fois depuis 1960 que des élections libres ont lieu dans ce pays-continent, y explique-t-on, rappelant au passage le coup d’Etat de Mobutu, resté trente-deux ans au pouvoir avant d’être renversé en 1997.

Gaylor loue ses services au plus offrant
 
Pasteur « dans le civil », Gaylor, le personnage principal de ce film de 60 mn, loue ses services au plus offrant, battant campagne pour l’un ou l’autre des candidats en lice à la députation. Publicité pour les meetings, recherche de groupes de musiciens pour les animer… Gaylor s’est transformé en « Atalaku » (le titre du film), qui signifie « crieur » en lingala. On le voit passer de l’Eglise, où il incite ses fidèles à faire des dons pour la paroisse, aux étals des marchés où il cherche à convaincre les « mamans » de se rendre au meeting de « son » candidat, une Bible dans une main, des liasses de billets dans l’autre, distribuant parcimonieusement les précieuses devises.
 
La démarche de Dieudo Hamadi s’apparente-t-elle, comme le signifie son prix au Cinéma du réel, à celle de Joris Ivens, ce cinéaste néerlandais, mort en 1989 à Paris, qui a fait école en parcourant le monde, caméra à l’épaule ? Sans doute par l’urgence qu’il ressent de témoigner. Un« concours de circonstances », dit-il, a fait qu’il a été retenu après la première élection de 2006 (avait-il déjà l’envie de tourner ?) pour suivre une formation de cinéma, d’abord à Kisangani, sa ville natale, à l’est de la RDC, puis à Kinshasa. Cet ancien étudiant a arrêté ses études de médecine deux ans avant la fin pour devenir cinéaste…
 

Une scène du film "Atalaku" de Dieudo Hamadi.
DR

Au total : 30 heures de rushes
 
Ce n’est sans doute pas anodin, le sujet de son premier film (Dames en attente) porte sur une femme séquestrée dans une maternité de Kinshasa parce qu’elle n’a pas les moyens de payer ses frais d’accouchement... Une « pratique courante » qu’il a voulu montrer. Sensible à la sécurité des femmes de sa région d’origine, il a tourné son second court-métrage à l’est du pays, dans la ville de Bukavu, où il a suivi une commissaire de police chargée de lutter contre les violences sexuelles…

Atalaku
est son premier long-métrage, qu’il a effectivement tourné tout seul, caméra à l’épaule (voir interview ci-dessous). Au total : 30 heures de rushes. Et personne pour avancer les financements… Pourtant, en faisant vivre ces élections comme si on y était, chaque scène – même approximative - fait travailler l’imaginaire. Quand l’échéance approche, et que les fraudes pourrissent l’ambiance dans les bureaux de vote, la relation des Congolais des quartiers populaires à leur classe politique ne semble pas aussi dépourvue d’enjeux qu’il y paraît. Et réciproquement.

Dieudo Hamadi: «Les élections, ça ne peut pas attendre»
Le réalisateur congolais Dieudo Hamadi, auteur du documentaire "Atalaku", prix Joris Ivens au Cinéma du Réel 2013.
DR

Vous filmez les élections de 2011, censées élire des représentants du peuple. N’était-ce pas aussi le moment de tous les dangers ?

Le contexte était assez tendu. Personne ne savait à quoi s’attendre. On sentait bien que le candidat en place, Joseph Kabila, n’était pas prêt à perdre. Et son challenger principal, Etienne Tshisekedi, le « père » de l’opposition congolaise, savait, vu son âge, que c’était sa dernière chance. Ils étaient déterminés à en découdre. Kabila, s’il perdait, c’était fini. Et Tshisekedi, s’il ne réussissait pas, ce serait compliqué pour plus tard.

Le film se termine par leurs deux discours qui s’entremêlent. Chacun dit qu’il a gagné...

A la fin du scrutin, deux présidents se sont déclarés élus. C’était important de rendre cela. Dans le film, j’ai choisi de le montrer comme ça : d’avoir leurs voix, sur des images du cimetière, qui disent quasiment toutes la même chose.

Ces élections ne mettent-elles pas aussi en danger ceux qui entrent dans la danse pour défendre un candidat.

Oui. Il y avait beaucoup de tensions entre les militants de chaque parti ou de chaque candidat. Les politiciens se sont servis des kuluna, ces bandits qu’on voit dans le film, des jeunes désœuvrés qui ont grandi dans les rues et qui ravissent leurs affaires aux passants. Ils s’en sont servis comme main-d’œuvre pendant la période électorale, pour aller « foutre le bordel » dans la campagne de l’autre et vice versa. Ce n’était pas le sujet de mon film, mais, oui, c’était assez tendu de ce point de vue là aussi.

Quand le pasteur Gaylor sort de son Eglise pour aller embaucher un groupe de musiciens pour le prochain meeting du candidat qu’il soutient, il a intérêt à aligner l’argent pour convaincre…

L’argent est partout. C’est un peu ce qui m’a poussé à lier dans ce film l’Eglise et la politique. L’enjeu, principalement, c’est l’argent. On le voit dans la scène d’ouverture où les fidèles doivent en donner pour le carburant, le transport des serviteurs de Dieu, un Coca-Cola pour le pasteur... Et c’est pareil de l’autre côté. Pour se faire élire, les politiciens promettent de l’argent, ils le distribuent pour être sûrs qu’ils vont être « votés ». Cela m’a paru intéressant de montrer cette similitude au Congo entre le monde religieux et la vie politique.

A un moment, Gaylor est pris à partie par des femmes du quartier qui lui disent de ne plus ramener « son » candidat qui ne leur a rien donné…

Quand j’ai commencé à filmer Gaylor, il était déjà en train de mener sa campagne. Il avait amené la veille un candidat qui avait promis à chacun 5 dollars, des pagnes et des tee-shirts. C’est comme ça que ça se passe. Mais, à la fin, quand ils se sont retrouvés « à boire du jus », comme ils disent, le candidat était déjà parti… Je suis tombé juste quand il se faisait un peu sermonner. On lui rappelait qu’on est fatigué des promesses.

Les candidats sont-ils adoptés ou rejetés selon l’argent qu’ils ont distribué ?

On l’avait beaucoup vu lors des premières élections de 2006, où seuls les candidats « riches » ont été massivement élus. En 2011, la population savait que les politiciens allaient lui donner de l’argent en promettant tout ce qu’on connaît si elle acceptait de voter pour eux. Et elle a joué le jeu. On voyait beaucoup de monde dans les meetings du candidat qui avait le plus de moyens et donnait beaucoup de vivres. Mais après, il est arrivé que ces candidats échouent. C’était la surprise de ces élections. Il ne suffisait plus d’être riche, de distribuer l’argent à la population pour se faire élire.

 
Ne croit-on pas du tout aux candidats ?
 
Vous savez, il y avait 19 000 candidats-députés [pour 740 députés, ndlr]. Personne n’a eu le temps de tous les connaître. Ce qui intéressait la plupart des gens à Kinshasa, c’était qui pouvait offrir le plus. Mais beaucoup de politiciens s’en sont mordu les doigts. C’est ce que j’appelle une bonne surprise. C’est vrai, les gens espéraient avoir un peu d’argent pendant un ou deux jours, mais en réalité, ils ont aussi appris la valeur de ce fait de voter. Et que, même si l’on reçoit de l’argent, une fois seul dans l’isoloir, on peut voter pour la personne qu'on veut… J’ai entendu beaucoup de gens dire cela.

Selon vous, on se moque des partis de Tshisekedi, de Kabila ou d’autres…

Dans mon film, en tout cas, mes personnages, oui. Et (avec eux) beaucoup de Congolais. Ils n’ont pas beaucoup d’intérêt à savoir qui va gagner. Mais ce sont mes personnages. Je ne pouvais pas être partout en ville et filmer toutes les situations. Il y avait aussi cet enjeu assez important que vous évoquiez tout à l’heure, entre les partisans du président Kabila et de Tshisekedi. Eux savaient vraiment pourquoi ils se battaient. Il fallait absolument que leur candidat puisse être élu.

Pourquoi n’abordez-vous pas du tout le contenu dans ce film ?

Parce que pour beaucoup de gens, mais aussi pour les personnages que j’ai choisi de suivre, cela n’avait pas d’importance, le contenu. Cela ne servait à rien. C’était courant d’entendre un Kinois dire : de toute façon, qu’est-ce qu’ils vont dire de plus que ce qu’on connaît déjà ? En plus, beaucoup de Congolais ne parlent pas convenablement ou ne comprennent le français et les politiciens s’adressent à la population en français dans des discours assez techniques…

Pourtant, vous dites qu’il y a de vrais enjeux entre les uns et les autres.

Entre les principaux challengers, oui. Il y avait même une question idéologique.

L’idéologie ne concerne-t-elle pas aussi la rue ?

Oui. Ou au contraire, la rue est juste instrumentalisée par ces gens-là qui se battent pour de vraies idéologies. Mais la masse ne comprend pas grand-chose.

Autre épisode violent, c’est l’émeute dans le bureau de vote. Est-ce à cause de la caméra ou parce qu’il y a eu fraude ? Ou les deux mêlés ?

C’est vrai, personne n’est pareil quand il y a une caméra. Il y a toujours quelque chose qui change un tout petit peu. Mais, juste après cette scène-là, j’ai appris que ça s’était mal fini. Il a fallu que l’armée intervienne pour faire sortir le Monsieur accusé des tricheries... Bien loin des caméras, la tension a continué de monter. Donc, il y avait une vraie frustration. Ce que j’ai pu « capter » dans le film, c’est qu’il y avait des « gentils » ce jour-là. Des gens ont été tabassés. Il y a eu des blessés et même des morts, des bureaux de vote incendiés...

On dirait que vous vous autocensurez.
 
Non, non. Ce sont juste des images que je n’ai pas pu filmer, tout simplement parce que mes personnages n’étaient pas allés là-bas. Moi, je suivais des personnes et c’est eux qui me conduisaient. On l’a suivi dans des émissions de télé… Mais je me suis limité à montrer ce que j’ai pu filmer avec mes personnages.

Vous portez un regard critique sur le pouvoir d’en haut dont les gens d’en bas ne bénéficient pas. Est-ce le message du film : donner plus de pouvoir à la base ?

Déjà, j’ai filmé ce que j’avais envie sans avoir pour autant nécessairement de message à faire passer. J’ai juste voulu montrer une réalité. Je me suis limité à montrer ce que j’ai vu, à ma manière. Je n’avais pas de préméditation. J’avais juste envie de témoigner d’un moment important de l’histoire de ce pays qui se trouve être le mien.

Dans le film, des militants de la société civile apprennent aux gens comment voter...

Quand je pensais à ce film, des mois avant les élections, j’avais suivi une émission à la télé animée par les représentants de la société civile. Leur combat m’a plu et j’ai décidé de les associer.
 
On a l’impression d’un film fait dans l’urgence, et en même temps intemporel. N’est-ce pas un peu ça l’écart ?

J’en suis ravi. C’est un film fait dans l’urgence. Les élections, c’est ce que j’ai voulu filmer, et ça ne peut pas attendre. Je n’ai pas attendu, par exemple, d’avoir les sous pour engager une équipe. J’ai filmé à l’arrache avec une caméra Sony Z7 qu’on m’avait prêtée pour des journées bien définies. Pendant le tournage, il est arrivé qu’on me la reprenne. Je devais attendre le lendemain pour la récupérer. J’ai filmé tout seul. Au début, je voulais vraiment avoir une équipe, un cadreur qui filmait mieux que moi. Mais la réalité, c’est que je ne pouvais pas me l’offrir. Du coup, je me suis décidé à y aller tout seul. Là, maintenant que le film est fini, je me dis que c’était peut-être la meilleure façon de filmer tout ça.
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