Quand un confrère fait de l’auto-intoxication…

Des titres de la presse kinoise. Photo CIC

« Kinshasa cède une partie de la RDC au M23», titrait à sa Une, samedi 12 janvier 2013, un confrère qui passe, à tort ou à raison, pour un «journal de qualité».
«Troublantes révélations de la presse ougandaise», écrivait-il en guise de sous-titre. En gras, s’il vous plaît. Le «papelard» a suscité l’émoi qu’on peut imaginer dans les chaumières kinoises. Le tout-Kinshasa politique - dont la paresse intellectuelle est connue au-delà des frontières de la République très très démocratique du Congo - n’avait samedi 12 janvier que «ça» au centre des conversations agrémentées de viande de chèvre grillée et quelques verres de bière. Kinshasa kiese ya-ya!

A en croire ce confrère «de qualité», «le groupe armé pro-rwandais aurait obtenu, des pourparlers de Kampala, une partie du territoire de la RDC, en plus de postes ministériels». Quelle est la source de ce qui ressemble bien à une «révélation» ? «C’est la presse ougandaise qui fait état de ce deal en échange d’un retour de la paix dans l’Est du pays», note le très estimé confrère «de qualité». En fin limier, comme des confrères kongomani, j’ai plongé mon nez dans l’article. Histoire de connaître les organes de presse qui se dissimulent derrière le terme générique «presse ougandaise». Rien. Pas le moindre indice. Après avoir gratté mon menton, je me mets à lire la suite. «Ce n’est pas un canular, pas non plus une illusion», poursuit l’excellent confrère qui décidément a levé l’option de persister dans l’erreur. Il poursuit : «C’est plutôt une réalité que rapporte la presse ougandaise qui couvre depuis décembre 2012 des pourparlers directs entre Kinshasa et le M23». «En effet, c’est toujours lui qui écrit, selon des coupures des journaux paraissant à Kampala, Kinshasa aurait, en échange d’un retour de la paix dans l’Est de la RDC, consenti de céder au M23 une portion du territoire de la RDC». «Si jamais l’information venait à être confirmée officiellement, fait-il remarquer, le M23, une émanation du CNDP/RCD/RDF, aura obtenu ce qu’il recherche depuis belle lurette». Ouf!

«La nouvelle est tellement sensible que l’honorable Konde Vila Kikanda, président du Caucus des députés nationaux du Nord-Kivu, s’est empressé de démentir, au nom de la délégation gouvernementale à Kampala, les révélations faites par les confrères ougandais». En réalité, le "Mbuta muntu" Konde n’a fait qu’aggraver la confusion en démentant une "info" qui a tous le contour d’un «bidonnage». Qui sont ces confrères ougandais pour permettre au Saint-Thomas que je suis à parcourir moi-même les « stories » dont question? Mystère. Incorrigible, mon estimé confrère de conclure : « Que la presse ougandaise se soit autorisée à publier cette information, c’est qu’elle est allée à la source. Pour autant que depuis décembre 2012, la capitale ougandaise, Kampala, est le théâtre des va-et-vient des protagonistes dans la crise qui sévit dans l’Est du Congo. Il semble que Lambert Mende, alias l’"aboyeur de la République", alias le "vuvuzela national", est tombé dans l’attrape-couillon. « Hier vendredi 11 janvier devant la presse, Lambert Mende Omalanga, ministre des Médias a effleuré le sujet, sans vraiment aller en profondeur», rapporte ce cher confrère «de qualité». Quel est but poursuit ce "journal de qualité" en faisant passer de l’intox pour de l’info? Au pays du "Munyankole" Yoweri Kaguta Museveni, les sources sont formelles: aucun "canard" local n’a publié ces "révélations".

Selon mon ami qui sait tout sur tout et presque tout sur rien sur les potins de Kinshasa-Lez-Immondices, la « nouvelle » publiée par ce confrère, qui se reconnaîtra, relève de la pure conjecture voire du délire. L’ami met cependant un bémol : « Tu le sais comme moi que le M23 a sous son contrôle plusieurs localités et villes de la Province du Nord Kivu. D’ailleurs, Goma est toujours à la portée du canon de ce mouvement rebelle soutenu par le Rwanda et l’Ouganda. Tu le sais également autant que moi que pour rester Calife à la place du Calife le raïs, alias garant de la nation est prêt à tout y compris brader la souveraineté nationale». L’ami prend la posture de l’avocat du diable en ajoutant : «L’histoire publiée par ce confrère de qualité est simplement imaginaire. Je souhaiterais être contredit par des faits».

Mon ami qui sait décidément tout en matière d’"éthique de l’information" me fait une observation : «Vous avez sans doute remarqué que notre confrère de qualité parle de « presse ougandaise » sans toutefois citer la dénomination d’un quotidien ou d’un magazine bien déterminé». L’ami de me rappeler, dans la foulée, le devoir déontologique qui exige aux journalistes de « publier seulement les informations dont l’origine est connue...». Pour lui, le confrère «de qualité» ignore la source émettrice de son «info».

Mon ami qui paraît étrangement économe de ses remarques de poursuivre : «Dans le monde anglo-saxon où le journalisme a en horreur la médiocrité, un journaliste doit lutter pour s’assurer que l’info qu’il répand est juste et exacte. Il doit éviter d’exprimer des commentaires et des conjectures comme des faits vérifiés». Il conclut en me faisant un clin d’œil : «En Amérique et en Grande-Bretagne, il est demandé aux journalistes d’être libres de toute obligation à l’égard de tout intérêt autre que celui du public à connaître la vérité. Enfin, notre confrère "de qualité" donne l’impression de découvrir ce que tout le monde savait. A savoir que les rebelles du M23 sont proches du Rwanda et que le CNDP dont ils sont l’émanation n’a jamais fait mystère de ses liens de cousinage avec le satrape de Kigali, alias Nkingu fioti. Ce détail de l’histoire n’a pas empêché le "papa pasteur" Runiga et son CNDP de faire partie de la majorité chète à la haute hiérarchie. Au vu et au su de prétendus nationaliste-souverainistes issus de la libération du 17 mai 1997».

Pour l’ami, la presse de la République très très démocratique du Congo doit se livrer illico presto à une urgente autocritique.

Issa Djema
© Congoindépendant 2003-2013