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Kasai Direct
1 janvier 2013

Guerres du Congo : il faut appliquer le droit, tout simplement

 

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C’est le conflit le plus meurtrier au monde mais tout indique qu’il va se poursuivre comme s’il n’y avait pas eu assez de massacres. Et cela pour deux raisons essentielles : l’obstination des dirigeants rwandais à s’octroyer un Lebensraum (espace vital) sur l’Est du Congo et l’impunité chronique dont ils bénéficient de la part des pays occidentaux. En effet, les instigateurs des guerres de massacre au Congo que sont le Rwanda de Paul Kagamé et l’Ouganda de Yoweri Museveni bénéficient d’un régime d’impunité de fait. Les crimes, pourtant effroyables, dont ils se rendent responsables depuis 1996 sont systématiquement passés sous silence ou évoqués du bout des lèvres. Tout ce qu’il faut pour pérenniser la barbarie.

Des crimes graves mais pas de justice

On parle bien de six millions de morts, mais pas un seul agent rwandais ou ougandais n’a été poursuivi pour les crimes commis au Congo, dont certains ont été qualifiés de génocide. Il n’y a même pas de Tribunal spécial pour rendre justice aux victimes du Congo alors qu’il y en a un, le Tribunal d’Arusha pour juger les responsables du génocide rwandais (800 mille morts). Il y a même un tribunal spécial créé par l’ONU pour juger les responsables de la mort d’un seul homme, l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Mais rien, pour les six millions des morts du Congo. Des crimes décrits dans plusieurs rapports d’ONG et des enquêteurs mandatés par l’ONU. Ils sont portés à la connaissance de nos gouvernements. Mais tout le monde se tait. Le Rwanda et l’Ouganda ne sont pourtant que deux « petits pays » ne disposant ni de la bombe nucléaire pour dissuader les Occidentaux ni du pétrole pour menacer le marché international du brut.

Parmi les crimes massivement décrits dans les rapports, depuis 16 ans, on relève des crimes d’agression (violation de l’article 2§4 de la charte des Nations Unies garantissant l’inviolabilité des frontières des Etats), des massacres des populations civiles, des viols de masse, des déplacements forcés des populations, du pillage des richesses du Congo (violation des articles 7 et 8 du statut de Rome), d’entrave à l’acheminement de l’aide humanitaire condamnant les populations à « crever » (violation de la quatrième convention de Genève), de la fourniture d’armes aux groupes armés en violation de la Résolution 1533 du Conseil de sécurité de l’ONU imposant, un embargo sur la livraison d’armes dans l’Est du Congo, et, de façon généralisée, des violations massives des droits de l’homme (assassinats, enlèvements, mutilations, tortures, règne de la terreur…). Relevons enfin que les agressions rwando-ougandaises mettent ouvertement au défi la « loi dite Obama » de 2006 prévoyant le retrait de l’aide américaine aux Etats qui déstabiliseraient le Congo.

Bien entendu, les dirigeants congolais actuels ayant été imposés au Congo par le Rwanda et l’Ouganda (Première et Deuxième Guerres du Congo), ou issus d’élections frauduleuses (2006 et 2011), la cause du peuple congolais manque de « porte-parole » officiel légitime.

Pour autant, on connaît ceux qui peuvent et devraient agir face aux crimes de cette nature : la CPI et les pays occidentaux. Mais après 16 ans de carnage, la Cour Pénale Internationale n’a délivré aucun mandat d’arrêt contre les agents rwandais ou ougandais. Les gouvernements occidentaux, prêts à envoyer des troupes pour faire respecter le droit international et les droits de l’Homme (Irak, Libye, Afghanistan, Côte d’Ivoire), restent étonnamment discrets sur le génocide en cours au Congo. On se demande bien au nom de quoi le Rwanda et l’Ouganda bénéficient d’une aussi généreuse politique du deux poids deux mesures, et surtout jusqu’à quand.

Un « deux poids deux mesures » devenu grotesque

Car des crimes de nature comparable, commis dans d’autres régions du monde, à une échelle pourtant moindre, ont fait réagir les capitales occidentales. Une « seule » agression du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein a provoqué la Première Guerre du Golfe pour « bouter » les forces irakiennes hors des frontières de l’Emirat, au nom de l’intangibilité des frontières des Etats. Le régime de Mouammar Kadhafi qui s’apprêtait à reprendre le contrôle de Benghazi a été violemment réprimé par les Occidentaux pour « prévenir » le risque de massacre. Le Président soudanais Omar Al Béchir est sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré par la CPI suite à l’affaire du Darfour. Le Président syrien Bachar al-Assad est considéré en Occident comme un « boucher » depuis qu’il a maille à partir avec des insurgés dans son pays. Un curieux hasard fait que les quatre Présidents étaient ou sont tous des dirigeants arabes, mais cela n’est pas le propos.

L’inutilité des « douces » indignations

Ainsi le Président Obama s’est-il contenté d’« exhorter » son homologue Paul Kagamé de cesser son soutien au M23. Une « douce » parole qui n’a servi à rien. Le soutien de Kigali au M23 se poursuit, parce que les interventions militaires du Rwanda au Congo s’inscrivent dans la perspective de l’annexion du Kivu qui deviendrait pour la classe dirigeante de Kigali un Lebensraum (espace vital) sur l’exemple des annexions des pays de l’Est de l’Europe par l’Allemagne nazie. Un tel projet abject mais revendiqué dès septembre 1996 par le Président Pasteur Bizimungu (parlant de Berlin II). Abject parce que, comme sous l’occupation nazie, il se mène au prix de massacres et de destruction des populations autochtones (qui doivent se soumettre ou libérer la place). Ainsi, dans l’Est du Congo, on en est à six millions de morts et des viols à grande échelle pour détruire les familles et les communautés autochtones. La seule façon d’arrêter une aventure aussi effroyable est de lui opposer la force légitime (contrer l’agresseur) et le droit (arrêter et juger les criminels comme au Tribunal de Nuremberg).

Mais rien. Rien de tout cela. On en est toujours au stade de « douces » indignations. L’ancien Président Jacques Chirac, la Première Dame de France Valérie Trierweiler et plusieurs personnalités ont signé une tribune dans Le Monde sur le Kivu demandant aux casques bleus de « faire leur travail ». L’ONU produit des rapports dénonçant les agressions répétées menées par le Rwanda et l’Ouganda, les viols, les massacres et le pillage des richesses du Congo. Le roi des Belges, Albert II, a exprimé son inquiétude pour l’intégrité du Congo. Un concert d’indignations qui ne rime à rien, puisque la guerre de massacre, de viols et de prédation va recommencer.

Deux dictateurs endurcis

En effet, les Présidents Kagamé et Museveni ont l’expérience des indignations de circonstance. Ayant déclenché ou poursuivi plus de guerres que n’importe quel autre chef d’Etat en exercice sur la planète et occasionné des centaines de milliers de morts les deux hommes ont appris à rester indifférents aux « douces » indignations et aux horreurs sciemment orchestrées. La guerre d’Ouganda (1981-1986 : guérilla menée par Museveni, Kagamé maquisard), la guerre du Rwanda (1990-1994 : Museveni et Kagamé), la Première Guerre du Congo (1996-1997 : Museveni et Kagamé), la Deuxième Guerre du Congo (1998-2003 : Museveni et Kagamé), la Guerre du CNDP/Guerre du Kivu (Museveni et Kagamé avec leurs protégés Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda), la Guerre du M23 en cours (toujours Museveni et Kagamé à la manœuvre). Mais aussi la longue guerre du Sud-Soudan dans laquelle l’Ouganda a été massivement impliqué.

Durant toutes ces guerres, les deux hommes ont entendu toute sorte d’indignation. On est donc en présence de deux dictateurs particulièrement endurcis. Seule la menace d’une arrestation et des poursuites devant la Cour Pénale Internationale, sur l’exemple du libérien Charles Taylor, peut les ramener à un minimum de retenue. Cela s’appelle « appliquer le droit ».

L’indispensable déchéance

Il ne faut toutefois pas tomber dans la naïveté. L’application du droit requiert un certain nombre de conditions, parfois sans rapport avec des considérations d’ordre juridique. Pour qu’un régime subisse les foudres des Occidentaux, au nom des droits de l’Homme ou du droit international, il faut qu’il soit en situation de déchéance et que certains intérêts stratégiques soient en jeu. La fin des règnes de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi est davantage une affaire de pétrole...

Dans le cas du Congo, après la déchéance de Mobutu qui n’a plus servi à rien dès la chute du Mur de Berlin (fin de la menace communiste), les cartes ont été rebattues. L’Ouganda et le Rwanda sont apparus comme pouvant assurer au moins trois types de mission : les politiques libérales (« la bonne gouvernance »), la fourniture aux multinationales des minerais du Congo (pillés ou pas) et l’association à la lutte américaine contre le terrorisme islamique. S’il devient évident que des dirigeants congolais, en plus du contrôle du vaste territoire national, peuvent mener à bien des missions comparables, Kigali et Kampala perdraient en prestige. L’arrestation des criminels et l’espoir de justice pour les victimes du Congo deviendraient possibles.

Aujourd’hui, c’est l’inertie, mais tout espoir n’est pas perdu. Il faut continuer à exiger (et non à exhorter) la ferme application du droit pour mettre fin aux souffrances des Congolais.

Boniface MUSAVULI
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