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Kasai Direct
26 février 2012

RD Congo : l'Eglise catholique, ultime espoir?

Brandissant un fallacieux prétexte, une non-conformité légale - un comble dans un Etat de non-droit-, le gouverneur de la ville de Kinshasa a interdit, le 16 février dernier, une manifestation des citoyens congolais refusant le hold-up politique qui a confisqué leur choix électoral du 28 novembre dernier. 

"L'Eglise, au Congo comme ailleurs, ne revendique aucun monopole et ne cherche aucun privilège, ni temporel, ni spirituel."
Mgr Joseph Malula, Salut à une jeune Nation, Vivante Afrique n° 209, Belgique, juillet-août 1960.
 
L'interdiction de cette manifestation est une lamentable régression intellectuelle et politique ramenant le Congo 50 ans en arrière quand le pouvoir colonial belge, sourd aux légitimes revendications du peuple congolais et aux puissants mouvements de l'histoire, empêcha monsieur Joseph Kasa-Vubu - grand vainqueur des élections municipales avec le parti, l'Abako en décembre 1957- de se rendre à la conférence Panafricaine à Accra au Ghana (8-12 décembre 1958). 
Depuis que la volonté populaire est brisée et que la voix des citoyens est étouffée, le pouvoir amplifie une ignoble campagne d'insinuations malveillantes où le mensonge le plus éhonté le dispute avec une flagrante falsification de l'histoire pour discréditer ceux des ecclésiastiques solidaires de la détresse de leurs ouailles déterminées à faire respecter la vérité des urnes. Cette bruyante campagne de calomnie rappelle étrangement celle que le régime Mobutu déploya en 1972 en ciblant le Cardinal Malula alors qu'en réalité, le pouvoir voulait embrigader l'ensemble de la hiérarchie catholique dans les structures du parti unique afin de domestiquer l'église catholique pour en faire une composante du parti unique. Relayée à l'étranger par certains médias proches des politiques et de puissants groupes économiques soutenant le pouvoir de Kinshasa, l'actuelle campagne de désinformation simplifie à outrance une situation fort complexe. 
Seule une analyse critique, dégagée de l'étreinte d'une actualité dont la perception est souvent pervertie par une presse congolaise et étrangère avide du sensationnel, contribuerait à saisir les véritables enjeux d'une problématique touchant le devenir de tout un peuple qui n'entend pas tourner la page des dernières élections présidentielle et législatives. En effet, outrés par les turpitudes d'un pouvoir arrogant qui a sciemment détourné les ressources publiques pour confisquer l'expression électorale du 28 novembre 2011, les citoyens congolais ne s'avouent pas vaincus, malgré le climat de terreur, de précarité matérielle et de détresse sociale qu'un gouvernement erratique impose au pays.  
De manière consciencieuse, ils se sont préparés à manifester massivement ce jeudi 16 février 2012 dans les rues de la capitale, Kinshasa, pour exprimer leur ferme détermination à se réapproprier les résultats électoraux du scrutin présidentiel et législatif de novembre 2011. Pour les organisateurs, cette marche devait aussi rendre hommage à leurs concitoyens, sauvagement fauchés par la soldatesque mobutiste le dimanche 16 février 1992 lors de la "Marche de l'espoir" exigeant la reprise des travaux de la Conférence Nationale Souveraine (CNS).  
Rappelons que la marche pacifique des chrétiens du 16 février 1992 avait été soigneusement préparée par un comité de coordination composée de chrétiens: ecclésiastiques et laïcs engagés dans le processus démocratique. Un groupe de réflexion et d'action citoyenne de conscientisation "AMOS" animé, notamment par l'abbé José Mpundu (militant infatigable de la conscientisation civique, des droits de l'homme et de la non-violence active, lauréat du prix international "Pax Christi" en 1994) et le professeur Thierry Landu publiait des brochures qui ont été des matériaux culturels qui ont énormément contribué à aiguiser l'intelligence -critique des chrétiens et à les mobiliser ce dimanche 16 février 1992. 
Aujourd'hui, 20 ans après, il est stupéfiant de constater que le pouvoir en place reproduit le même schéma en déployant massivement les forces de répression et leurs équipements anti-émeute devant les paroisses de Kinshasa afin d'empêcher les cortèges de fidèles de converger vers l'église Saint-Joseph au quartier Matonge. Sans la moindre retenue, les policiers ont fait usage de gaz lacrymogène et ont procédé à des arrestations musclées (prêtres, religieuses, diacres et autres fidèles...). Par ailleurs, le pouvoir n'a pas hésité à payer des voyous (kulunas) munis d'armes blanches pour s'attaquer aux assemblées de fidèles. Le rôle et la place des forces de l'ordre et de l'armée dans notre société restent donc un problème fort préoccupant et un écueil pour l'instauration d'une réelle démocratie au Congo. 
Il est vrai que l'Eglise catholique fut l'un des piliers de l'ordre colonial; il est vrai aussi que la religion chrétienne a été instrumentalisée aux fins de domination coloniale, comme l'exposait clairement en 1930, le ministre belge des colonies, Louis Franck, pourtant libéral et anti-clérical en Belgique: "la religion chrétienne -catholique, basée sur l'autorité, peut être capable de changer la mentalité indigène, de donner à nos Noirs une conscience nette et intime de leurs devoirs, de leur inspirer le respect de l'autorité et l'esprit de loyalisme à l'égard de la Belgique. " 
Il n'en reste pas moins vrai que les élites intellectuelles et politiques qui ont façonné le mouvement d'émancipation politique sont pour la plupart issues des institutions scolaires et culturelles chrétiennes. Tel est le cas des Groupes de Conscience Africaine - fondé par l'abbé Joseph Malula en 1951- et de l'Abako -association culturelle fondée par Edmond Nzeza-Landu, ancien grand séminariste à Mayidi (Bas-Congo). L'Abako prit une orientation nettement politique sous l'impulsion de Joseph Kasa-Vubu, ancien grand séminariste, lui aussi, de Mbata-Kiela (Bas-Congo) et Kabwe (Kasaï). Du groupe 'Conscience Africaine' est issu le Mouvement National Congolais (MNC) qui formera avec l'Abako et le Parti Solidaire Africain (PSA) de MM. Cléophas Kamitatu, Antoine Gizenga, anciens séminaristes de Kinzambi, l'ossature de la majorité politique issue des élections législatives et provinciales de 1960. 
Rappelons aussi la déclaration des Vicaires Apostoliques (Evêques) du Congo belge, le 30 juin 1956, affirmant que l'émancipation politique est "légitime du moment qu'elle s'accomplit dans le respect des droits mutuels et de la charité". Le 28 mai 1958 à Bruxelles, au congrès de l'humanisme chrétien, l'abbé Joseph Malula affirme devant un auditoire stupéfait" qu'il vaut mieux accorder l'indépendance un quart d'heure trop tôt qu'un quart d'heure trop tard" et le 22 août 1959, les évêques du Congo saluent "avec une grande joie l'annonce de l'indépendance du Congo et du Ruanda-Urundi". 
Par ses nombreuses réalisations sociales (dense réseau d'enseignement, cliniques, foyers sociaux, centres d'études...), l'église catholique occupe une place prépondérante dans la société congolaise dès les premières phases de l'expansion coloniale dont elle a été une des alliées. Elle a rendu service à l'impérialisme occidental en le légitimant et en conditionnant ses adeptes à accepter des espérances compensatoires: une récompense éternelle contre les malheurs terrestres, y compris l'oppression coloniale. 
Dès 1890, des missionnaires protestants anglo-saxons s'élèvent contre les atrocités que subissent les populations congolaises soumises au joug du roi des Belges, souverain de l'Etat indépendant du Congo, Léopold II. Tel est le cas, notamment du pasteur presbytérien noir américain, William Sheppard, très apprécié des populations du Kasaï, notamment les Bakubas, dont il parlait la langue. Son confrère Georges Washington Williams, de l'église baptiste, adressa en 1890, une lettre ouverte au roi Léopold II et un rapport accablant au Président américain, Benjamin Harrison pour dénoncer les crimes commis au Congo contre les Congolais. Le courrier qu'il adresse au Secrétaire d'état, Blaine, évoque un crime contre l'humanité au Congo. En revanche, l'église catholique observa un mutisme assourdissant. Le rapport de la commission internationale d'enquête en 1904-1905 épingla aussi les missionnaires catholiques. C'est alors que l'EIC signa avec le Vatican, le 26 mai 1906, une Convention qui réserva un quasi monopole aux congrégations religieuses catholiques, essentiellement belges, pour évangéliser et scolariser les Congolais. 
Aussi, convient-il de mentionner l'ouvrage que publia en 1906, le père jésuite belge Arthur Vermeersch: La Question congolaise pour dénoncer le calvaire des Congolais. Certes, le père Vermeersch ne remet pas en question le bien-fondé de la colonisation mais il en dénonce certaines pratiques. Il a été très critiqué par d'autres catholiques, notamment son confère jésuite, Castelein. 
Aujourd'hui,si elle veut capter les signes des temps, le rôle de l'église ne se définira que par un engagement actif, lucide et total des ecclésiastiques -qui renoncent aux privilèges- aux côtés de plus démunis dans leur quête d'une société de justice. Tel est, entre autres, le sens de l'exhortation de l'abbé José Mpundu plaidant dès le 03 décembre 2011 pour un rôle prophétique de l'église catholique. En somme, une église fidèle aux enseignements du Concile du Vatican II dont "Gaudim et Spes : Joie et espoir" est considéré comme le document le plus important, notamment parce qu'il aborde des problématiques fondamentales comme: l'homme et son destin; le sens de l'activité des hommes, de toutes leurs entreprises,de leur histoire ; l'Eglise dans son rapport aux hommes, aux sociétés, à la marche de l'histoire humaine. Oui, les chrétiens congolais veulent que leur église soit une "Eglise dans le monde de ce temps". Les évêques du Congo ont activement participé au concile Vatican II. Monseigneur Malula a été de toutes les sessions dont il fut membre de la commission liturgique. 
Oui, les chrétiens congolais ne peuvent oublier que ces 40 dernières années, la Conférence épiscopale a été la "Voix des sans voix" comme le démontrent la justesse, la rigueur intellectuelle, le souci de justice et de vérité des déclarations et lettres pastorales de leurs prélats. Les deux extraits mentionnés ci-après en sont une lumineuse illustration. Le constat dressé reste, plus de trente ans après, d'une étonnante actualité brûlante:  
"Notre pays a le malheur d'avoir un riche potentiel économique qui fait de lui un objet de convoitise, parfois éhontée ,de la part de certaines puissances étrangères. Les matières premières semblent les attirer plus que le sort de l'homme et la destinée de tout un peuple. "Conférence épiscopale, Kinshasa, le 10 juillet 1978, Foi et développement, Centre Lebret n° 62,Paris,décembre 1978.  
"Depuis des décades on parle de ces richesses qui n'en finissent pas de demeurer potentielles. A quand un peu de bonheur ? Echéance sans cesse reportée. En attendant,c'est l'exploitation éhontée, le pillage organisé au profit de l'étranger et de ses relais pendant que le gros du peuple croupit dans la misère dans des situations parfois artificiellement provoquées." : Notre foi en l'homme, image de Dieu; Déclaration du comité permanent des évêques du Zaïre, Kinshasa, 23 juin 1981; La Documentation catholique, Paris 17 janvier 1982, p.124.  
Face à la désespérance actuelle faite de déni de justice et de violence sociale qui s'amplifient parallèlement avec la floraison des groupes religieux- sectes, églises du réveil...- qui affichent des prétentions messianiques, font du spirituel un soporifique et que le pouvoir actuel utilise comme lieux propagande pour glorifier le "Raïs" et anesthésier l'esprit critique des citoyens, il appartient aux intellectuels chrétiens de (re)faire de l'église catholique un pôle d'excellence intellectuelle pour initier des pratiques intelligentes de la foi afin que les chrétiens se donnent les moyens d'éradiquer les structures de péché collectif qui tend à s'incruster dans le système social. 
Aux intellectuels qui veulent exercer une fonction tribunicienne de s'employer à désacraliser les hiérarchies ecclésiastiques qui ont tendance à féodaliser leurs relations avec les fidèles, ce qui ne favorise guère un dialogue en vérité indispensable pour redonner espoir aux Congolais.  
"L'esprit marche dans les ténèbres quand le passé n'éclaire plus le présent "... nous enseigne Tocqueville. Une intelligente appropriation de notre mémoire historique, dépouillée de mythes, nous servirait de levier pour exercer lucidement une citoyenneté responsable. 
Pour le Collectif des intellectuels congolais DEFIS (France): 
Anicet MOBE, conseiller culturel de DEFIS
Alfred SHANGO, président de DEFIS
Jean LUBIKU MIANKEBA, secrétaire général de DEFIS 
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